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Bill |
uffit-il
de constater qu’on s’essouffle dès qu’on monte un escalier, qu’on répète les mêmes
histoires à ses proches ou qu’on ne sait pas utiliser les applications de base
de son smartphone pour
voir qu’on a vieilli ? Pas seulement :
vieillir,
c’est surtout surestimer ses forces, devenir fataliste et trop penser à la
mort, nous disent Rousseau,
Cicéron
et Montaigne.
Mais par-delà l’usure ressentie du corps et de l’esprit, qu’est-ce que prendre
conscience de son propre vieillissement ? À vous de le vérifier !
Vieillir, c’est surestimer ses forces. On voit que l’on a vieilli quand on n’a pas pris
conscience que l’écart entre ce qu’on croit pouvoir faire et ce qu’on arrive à
faire effectivement est devenu manifestement trop grand. Tel n’est pas le cas
de Rousseau qui,
dans ses «Rêveries du promeneur solitaire» (1782) critique la phrase de Solon: « Je
deviens vieux en apprenant toujours ». Non, la lucidité oblige
à se rendre compte qu’il y a un âge où l’on ne peut plus apprendre parce que,
comme Rousseau l’avait déjà écrit dans l’Émile (1762) : « On rétrograde en
avançant ». Vient un temps où il faut donc renoncer à
augmenter son savoir car «ces
vains efforts usent la vie, et nous empêchent d’en user ». Et
si, sur les conseils de la gériatrie, on peut s’exercer à entretenir la mémoire
de ce qu’on a appris pour ralentir sa propre sénescence, l’essentiel est sans
doute ailleurs pour bien vieillir : méditer sur l’existence, tâcher de
sortir de la vie « plus vertueux » qu’on y est entré.
Vieillir,
c’est devenir exagérément fataliste. Car renoncer trop tôt est aussi un signe de vieillissement… À trop
vouloir être raisonnable, on sous-estime sa capacité à être utile aux autres.
Fausse sagesse que celle qui prétend qu’il faut laisser toute la place aux
jeunes parce que le monde n’a plus besoin des anciens ! À 63 ans, quand il
écrit son De senectute (De la
vieillesse), Cicéron fait
dire à Caton l’Ancien que « les
États ont toujours été ruinés par les jeunes gens, sauvés ou restaurés par les
vieillards », parce que si ces derniers ne peuvent plus « lancer
le javelot » ou « manier le glaive »,
eux seuls peuvent, grâce à l’expérience qu’ils ont accumulée, « discerner,
prévoir et conseiller ». On a donc vieilli quand on se rend
compte un peu tard qu’on a démissionné prématurément. Peut-être fut-ce le cas
de Cicéron lui-même, qui réussit à convaincre le Sénat de se méfier du
conjurateur Catilina mais qui, près de vingt
ans plus tard, fatigué par les intrigues de la politique romaine, resta muet
face aux agissements de César, le
tombeur de la République.
Vieillir,
c’est penser trop tôt à la mort. Autre
signe qu’on a vieilli : on commence à parler plus souvent de la mort, on
songe à écrire un testament, bientôt à prendre une assurance obsèques. Mais
cette idée de la mort, lorsqu’elle devient obsessionnelle, gâche l’existence et
empêche de vivre la vieillesse comme une descente en pente douce vers l’instant
redouté. Contre la tradition socratique qui affirme que « philosopher,
c’est apprendre à mourir », Montaigne finit
par se convaincre dans ses Essais qu’« un
quart d’heure de souffrance passive sans conséquence, sans dommage, ne mérite
pas des préceptes particuliers » (III, 12). Si la nature
nous signale que nous vieillissons (« Voilà une dent qui me
vient de choir, sans douleur, sans effort : c’était le terme naturel de sa durée »,
constate laconiquement Montaigne en III, 13, après avoir perdu une dent), elle
rend aussi quasiment indolore l’extinction des diverses facultés de notre
corps. Si bien que, si elle est naturelle, « la dernière mort […] ne
tuera qu’un demi ou un quart d’homme ». La vieillesse a ses
signes, les connaître n’implique pas qu’il faille s’en attrister.
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