RDC : Koffi Olomidé rattrapé par son passif
Olomidé en bonne compagnie |
A |
près onze ans d’interdiction de séjour
en France, il devait se produire à Paris le 27 novembre. Mais la star de la
rumba congolaise doit désormais assumer son lourd passé judiciaire, dont des
accusations de viol et séquestration sur mineure.
Cologne, dernier étage d’un luxueux gratte-ciel surplombant le Rhin. Koffi Olomidé, alors en promotion en Allemagne, rejoint la fête organisée en son honneur en août dernier par son nouveau label, Goldmann Records, escorté par la jeune chanteuse congolaise Anina Mwarabu, elle-même accompagnée d’une amie, une vingtaine de printemps au compteur. Une soirée privée qui a vu défiler une armada de jouvencelles réclamant tour à tour leurs selfies. L’occasion pour le vieux guerrier de la rumba congolaise, 63 ans, d’inverser les rôles et de jouer à son tour les paparazzi, en photographiant ces demoiselles en catimini.
Avec quarante-trois ans de carrière à son actif, Antoine Christophe Agbepa Mumba, de son vrai nom, a su traverser les générations et séduire tous les publics. Alors qu’il annonçait que 13e apôtre (2013) serait son dernier album, le voilà déterminé à entrer dans la « Légende », titre de son 39e opus à paraître courant novembre. «Faites semblant de mourir et vous verrez à quel point on vous aime et qui vous aime, récite-t-il. L’amour que je porte au public me commande de ne pas lui tourner le dos tout de suite»
«Le concert de ma vie»
C’est en s’offrant la crème des artistes de la scène urbaine
actuelle qu’il annonce son grand retour. Davido, Tiwa Savage, Kaaris, Ninho,
Gradur… La liste des artistes nigérians et de la diaspora congolaise et
ivoirienne invités sur ce nouvel album est longue. Un casting cinq étoiles qui
marque la volonté pour l’inusable crooner de s’inscrire dans l’air du temps. «On ne peut plus faire de la musique sans featuring aujourd’hui », glisse la star
derrière ses éternelles lunettes de soleil, lors de la conférence de presse qui
s’est tenue un peu plus tôt le même jour devant une maigre assemblée de
journalistes.
Après des heures d’attente, celui que l’on surnomme « le Rambo »
– parmi une myriade d’autres noms de guerre – nous propose un entretien
privé à son hôtel, avant de préciser qu’elle se déroulera dans le hall et non
dans sa chambre. Proposition que l’on déclinera. L’échange aura lieu sur place,
dans le bâtiment du label, en présence de son staff, manager et producteur
compris.
IL OFFRE DE QUOI ALIMENTER LE DÉBAT SUR LA SÉPARATION
ENTRE L’HOMME ET L’ARTISTE, QUASI INEXISTANT EN AFRIQUE DE L’OUEST
Montre XXL en or au
poignet droit, bomber rouge constellé de strass et pantalon assorti, le grand
manitou maîtrise l’art de la sape à la congolaise et conforte les rumeurs selon
lesquelles il serait millionnaire. Une fortune qu’il doit à l’invention du
tcha-tcho, genre qu’il s’enorgueillit d’avoir créé –refusant catégoriquement
d’être assimilé à la rumba congolaise.
En 2000, il est le premier ressortissant d’Afrique subsaharienne à
jouer à guichets fermés à Bercy devant 18 000 personnes. Vingt-et-un ans plus
tard, Koffi Olomidé espère remplir l’imposant complexe de Paris La Défense
Arena (40 000 places), et présenter son projet de 36 titres. «Nous jouerons aussi début septembre à
Kinshasa, nous confiait l’été dernier le fondateur du mythique Quartier Latin –
orchestre qui a vu passer des stars de la musique congolaise comme Fally Ipupa.
C’est un plaisir de pouvoir se produire à nouveau devant les Congolais alors
que les concerts redémarrent à peine. Cette date sera une répétition pour le
concert de ma vie à La Défense Arena»
Agressions sexuelles
et séquestration
À quelques semaines seulement de l’événement parisien, on sent la
pression monter, au regard du contexte sanitaire. « J’invite tous les Africains
à se faire vacciner », serine-t-il. Passeport sanitaire oblige, le défi sera de
taille. Mais l’événement est in fine annulé
mi-octobre. Parmi les raisons invoquées sur le compte officiel de la salle de
spectacle, la pandémie donc, qui aurait des conséquences « sur les voyages
internationaux ». Et nombre de « koffiphiles » et de « koffinettes », comme
le grand « mopao » (patron) aime appeler ses groupies, pointent la menace des
Combattants, opposants congolais radicaux de la diaspora, et le risque de
violences qu’aurait engendré un tel rassemblement.
Mais d’autres motifs, concernant directement Koffi Olomidé, ont pu
motiver cette annulation… Adoubé par les uns, jugé pornographe par les autres
en raison de ses paroles et de ses clips de plus en plus vulgaires, la star de
la rumba offre de quoi alimenter le débat sur la séparation entre l’homme et
l’artiste, pour l’heure quasi inexistant en Afrique de l’Ouest. Son passé
judiciaire est lourd et inclut une condamnation en 2019, en France,
pour viol sur mineure de moins de 15 ans et séquestration sur quatre de ses danseuses
(des faits qui ont eu lieu entre 2002 et 2006 dans un pavillon qu’il louait à
Asnières). Jugé en première instance par le tribunal de Nanterre, il a écopé
d’une peine de deux ans avec sursis au lieu des sept ans d’enfermement ferme
requis par le ministère public.
LE 25 OCTOBRE, LE PARQUET GÉNÉRAL A REQUIS HUIT ANS
DE PRISON FERME À SON ENCONTRE
Lorsque l’on évoque ce
passé, le visage de Koffi se ferme et le ton de sa voix devient grave. « J’ai
été dans l’impossibilité de venir en France pendant onze ans, rappelle-t-il,
remonté. Aujourd’hui, je passe les frontières normalement, cela ne peut pas ne
rien signifier. La justice a répondu à la question. C’est tout », tranche-t-il.
Mais la justice n’avait pas dit son dernier mot. L’intéressé a de nouveau été
jugé en appel à Versailles pour agressions sexuelles et séquestration sur
quatre ex-danseuses le 25 octobre dernier. Le parquet général a requis huit ans
de prison ferme à son encontre. Et quid aujourd’hui des conditions de travail
de ces danseuses qui officiaient sans contrat pour un salaire de misère (100
euros pour un concert de minuit à six heures de matin selon un témoignage
rapporté dans le dossier judiciaire) ?
Le protégé de feu Papa Wemba, auteur d’une agression filmée
sur l’une d’elles en 2016 avoue avoir du mal à les payer, mais affirme s’y
tenir. Il s’emporte et précise que s’il était une personne peu fréquentable,
les artistes ne travailleraient pas pour lui. «Dans tous les groupes congolais, même en Côte d’Ivoire et au Cameroun,
il y a une quarantaine de danseuses… Pourquoi elles intégreraient ces groupes
si les conditions n’étaient pas bonnes ? » s’agace-t-il.
Peur de représailles
Pendant quelques minutes pesantes, Koffi Olomidé semble pour la
première fois désarçonné et regrette d’en avoir trop dit. Rapidement, il change
de sujet et évoque son arrestation de 2006, alors qu’il voyageait en train vers
Lyon avec son groupe Quartier Latin, muni de billets achetés frauduleusement
avec des chèques en bois. L’occasion pour la star, qui a été condamnée pour
fraude fiscale, d’incriminer son ancien producteur, responsable de l’achat
desdits billets. Et de rappeler que l’ensemble de l’équipe a été soumis à un
interrogatoire. Selon lui, les danseuses – interrogées séparément – auraient
alors eu tout le loisir de témoigner contre lui.
L’UNE DES DANSEUSES QUI A TÉMOIGNÉ CONTRE LUI A
DÉCLARÉ AVOIR FAIT UNE TENTATIVE DE SUICIDE
Il affirme que le rêve des
jeunes femmes qui l’accusent était de vivre en France et d’obtenir des papiers
auprès d’associations. « Mais à l’ambassade de France, je m’étais engagé à ce
que l’ensemble du groupe revienne au Congo. Si quelqu’un était resté sur le sol
français, je n’aurais pas pu obtenir de visas pour le groupe dans le futur »,
se défend-il sans jamais revenir sur les accusations d’agressions. Selon lui,
depuis cette affaire, aucune des danseuses d’alors n’a pu poursuivre sa
carrière. Et pour cause, les quatre danseuses congolaises qui ont porté
plainte, et qui ont été partie civile au procès, n’ont jamais remis les pieds en
RDC par «peur » de représailles du chanteur. L’une d’entre elle a déclaré avoir
fait une tentative de suicide.
«Les femmes sont très bien protégées, il faut aussi écouter notre point
de vue », lâche ce père de famille, qui cite sans relâche sa fille
Didi-Stone, promise à une belle carrière de mannequin, comme étant sa digne
héritière. « Je suis un homme honnête, qui prend les jeunes par la main, j’ai
fait des featuring avec
des artistes à peine connus », tient à préciser celui qui a fondé le label
Koffi Central pour soutenir la jeune garde de la musique congolaise.
Koffi Olomidé ne veut pas être un homme du passé, encore moins du
passif. Et de toute évidence, les institutions culturelles et politiques
africaines ne font pas grand cas de ces affaires. L’artiste s’est même vu
remettre la médaille du Mérite des arts, des sciences et des lettres par le
président de l’Assemblée nationale congolaise, Aubin Minaku, en 2015. L’avenir
du chanteur dépend pourtant désormais en grande partie d’un jugement mis en
délibéré à une date encore inconnue…
Jeuneafrique.com
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