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Mamadou Coulibaly |
rrivé clandestinement en Europe en
2015, Mamadou Coulibaly évolue aujourd’hui en Série A et fait partie de l’élite
du foot italien. Un parcours hors du commun, qu’il a raconté à « Jeune
Afrique ».
Il y a encore six ans,
Mamadou Coulibaly errait clandestinement en Italie. Le Sénégalais, issu de la
classe moyenne, venait de quitter son pays au péril de sa vie. Il n’avait que
16 ans. Après de longs mois passés dans la clandestinité, il est aujourd’hui
footballeur professionnel de Série A italienne, à la Salernitana, où il a été
prêté par l’Udinese.
Jeune Afrique : Vous êtes entrés clandestinement en Europe, il y a six ans. Les
mois qui ont suivi ont été très durs. Au Sénégal, vous ne veniez pourtant pas
d’un milieu défavorisé…
Mamadou Coulibaly : En effet. Je suis né
à Thiès, où mon père était professeur de sport. Mais nous n’étions ni riches ni
pauvres. Mon père gagnait correctement sa vie, assez en tout cas pour
qu’à la maison, on ne manque de rien. Ma mère ne travaillait pas, et avec un
seul salaire, une fois que tout était payé, il ne restait pas grand-chose.
Quand mon frère aîné est devenu professeur d’anglais, cela a amélioré les
choses. Mais quand vous êtes jeune, et que vous voyez votre père se décarcasser
tous les jours pour finalement gagner juste de quoi vivre, c’est dur.
Jeune, étiez-vous déjà passionné par le football ?
Oui. Je voulais réussir
dans le foot. Mon père, qui y a joué, voulait bien que je le pratique, mais
sous forme de loisir. Il préférait que je me concentre sur les études, pour
ensuite avoir un métier. Le problème, pour lui, n’était pas que je joue au
foot, mais il avait peur que je ne réussisse pas à devenir professionnel et que
je ne sache quoi faire. Il m’a donc inscrit dans un établissement sport-études.
Mais honnêtement, ce qui m’intéressait, c’était jouer au foot.
«J’AI
PRIS UN BUS POUR LE MAROC»
À 16 ans, vous décidez de quitter le Sénégal, sans prévenir vos
parents. Était-ce le fruit d’un coup de tête ou d’une longue réflexion ?
Depuis l’âge de dix ans,
j’avais en tête de partir en Europe pour jouer au foot. Là-bas, les parents
peuvent mettre de l’argent de côté pour leurs enfants. En Afrique, cela ne
marche pas comme ça. Il faut apprendre à se débrouiller, d’autant que les États
ne font pas grand-chose pour les jeunes. Alors, j’ai décidé de partir. J’ai
juste prévenu deux amis, j’ai pris un bus pour le Maroc, où je suis resté une
semaine, en me débrouillant comme je le pouvais. Puis j’ai rejoint Marseille et
Grenoble, où j’avais une tante. Comme elle ne pouvait pas me garder trop longtemps
et que j’avais débarqué sans prévenir, elle m’a mis en relation avec l’une de
ses connaissances, qui vivait en Italie, à Livourne.
Et c’est là que les galères ont vraiment commencé…
Dans un premier temps, je
me suis retrouvé dans une maison avec d’autres personnes qui étaient quasiment
toutes dans la même situation que moi. C’était difficile, je ne mangeais pas à
ma faim tous les jours. Je faisais comme je pouvais, sans argent. Et je ne
parlais pas italien… Au bout d’un moment, je suis parti et j’ai dormi dans la
rue, ou dans des supermarchés, pour éviter d’avoir froid.
J’ai cependant recommencé
à jouer au foot, dans une équipe de futsal. Ma crainte, comme je n’avais pas de
titre de séjour, c’était d’être arrêté par la police et d’être renvoyé au Sénégal.
Alors, quand j’apercevais des policiers, je me faisais discret. Heureusement,
je n’ai jamais été arrêté… Puis je suis parti à Pescara et enfin, à 40
kilomètres de là, à Roseto.
vez-vous envisagé de repartir en France, ou même au
Sénégal ?
J’ai appelé des gens en France, des connaissances.
Comme ils ne connaissaient pas le numéro, la première fois, ils ont décroché.
Puis ils n’ont plus pris mes appels, car ils étaient désormais au courant de ma
situation. Mais je n’ai pas rancœur. Repartir à Thiès ? Non, jamais. Je savais
que ce serait un calvaire si j’y retournais. Quand tu quittes le pays pour une
vie meilleure et que tu reviens, c’est compliqué. Mes parents ont été mis au
courant de ma situation. Ma mère, sans nouvelles de moi, pensait même que j’étais
mort.
«JE NE CONSEILLE À PERSONNE DE FAIRE
CE QUE J’AI FAIT. JE ME SUIS MIS EN DANGER»
À Roseto, votre situation a commencé à s’améliorer…
J’avais galéré pendant des mois. Je me suis installé
près du terrain de foot du club de la ville, et un jour, alors que je dormais
dans les vestiaires du stade, des policiers sont arrivés. Avec eux, il y avait
un homme, Girolamo Bizzarri, un ancien joueur professionnel qui entraînait à
Roseto. Il était au courant de ma situation et m’a aidé.
On m’a emmené dans les locaux de la police, je croyais
que j’allais être expulsé. Mais Bizzarri a entamé des démarches pour que je
dispose d’un titre de séjour provisoire. La police m’a aussi aidé, et j’ai été
placé dans un foyer d’accueil pour jeunes migrants. Là, j’ai appris l’italien
et Bizzarri m’a proposé de faire des tests dans différents clubs, notamment à
Ascoli et Sassuolo. Comme ma situation administrative n’était pas réglée, je ne
pouvais pas signer de licence. Et puis un jour, j’ai pu signer à Pescara, et
j’ai commencé à jouer avec les moins de 19 ans, puis avec l’équipe
professionnelle. J’ai commencé à réaliser mon rêve.
Vous
avez ensuite signé à Udinese, qui vous a prêté à plusieurs clubs, dont
Salernitana, promu cette saison en Série A….
Je réalise pleinement ce qui m’arrive. Je suis
quelqu’un de têtu, je ne voulais rien lâcher. Mais attention : je ne conseille
à personne de faire ce que j’ai fait. C’est très risqué, très dangereux, je me
suis mis en danger. Je sais qu’il y a de
nombreux jeunes Africains qui viennent en Europe clandestinement pour essayer
de trouver un club, mais combien y parviennent ?
J’ai eu la chance d’être aidé par certaines personnes.
Comme j’avais fait du foot dans un sport-études au Sénégal, j’avais de bonnes
bases et j’ai beaucoup appris à Roseto et surtout Pescara. J’ai rattrapé le
temps perdu, quand je ne jouais plus parce que je dormais dans la rue. Tout ce
que je fais, c’est pour ma famille, pour l’aider à vivre mieux.
Aujourd’hui je gagne bien ma vie, je peux les aider et
c’est le plus important. Je retourne à Thiès dès que je le peux pour voir mes
proches Mon objectif, c’est bien sûr de continuer à jouer au haut niveau.
J’évolue en Italie, dans un des meilleurs championnats du monde, et j’ai envie
de jouer pour le Sénégal. Je vise la Coupe du monde 2022, au Qatar.
Votre
père, qui vous imaginait plutôt faire un autre métier, est-il fier de vous ?
Oui. C’est une personne dure et exigeante, mais très
juste. Il m’a dit qu’il était fier de moi, heureux que j’aie réussi à atteindre
le but que je m’étais fixé. Je sais qu’il le pense sincèrement.
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